Syndrome d’Ehlers-Danlos vasculaire : une avancée thérapeutique pour une maladie rare
Dans sa forme vasculaire, le syndrome d’Ehlers-Danlos est une maladie rare sévère qui provoque notamment des lésions et des ruptures artérielles pouvant entraîner une mort prématurée.
L’équipe du Pr Pierre Boutouyrie de l’hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP)/Inserm U970/Université Paris Descartes, a mis en évidence l’effet protecteur d’un médicament « bêtabloquant », le céliprolol, qui lui a valu une publication dans la revue médicale The Lancet*.
Entretien avec le Pr Pierre Boutouyrie, Hôpital Européen Georges-Pompidou (AP-HP)
Hôpital européen Georges-Pompidou
Comment l’idée de cette étude a-t-elle germé ?
C’est une démarche de longue haleine car nous avons été sensibilisés dès 1997/98 à cette maladie par nos collègues de médecine vasculaire, en particulier à la suite du décès d’une jeune fille de 19 ans. C’est une maladie du tissu de soutien, ou matrice extracellulaire, composé de collagène et d’élastine. Les organes qui en contiennent le plus sont la peau et les vaisseaux, qui sont soumis à des contraintes mécaniques comme la pression artérielle. Le syndrome d’Ehlers-Danlos se traduit essentiellement par une fragilité de la peau, des artères et des intestins. Une artère peut se rompre ou se disséquer, le tube digestif peut éclater, c’est un risque vital. Nous connaissons l’origine génétique depuis la fin des années 1990. Il s’agit d’une mutation sur le gène codant pour le collagène de type 3. Mais ce gène est complexe et très grand. Le collagène muté n’a pas un comportement mécanique normal mais cela ne résout pas le problème. Il existe plusieurs formes de la maladie et les syndromes d’Ehlers-Danlos touchent 5 à 10 000 sujets en France. La forme vasculaire ne concerne que quelques centaines de personnes, mais nous n’identifions qu’un quart à un tiers des malades car le diagnostic est difficile.
Pourquoi avoir voulu tester un médicament bêtabloquant ?
Ces médicaments étaient utilisés dans la maladie de Marfan, qui est une maladie proche car il existe une fragilité tissulaire pouvant conduire à une dilatation puis une rupture de l’artère aorte. Les bêtabloquants étaient donc étudiés car ils peuvent ralentir la dilatation en agissant sur la pression artérielle et la fréquence cardiaque. Mais le céliprolol a également des propriétés vasodilatatrices, ce qui permet de diminuer la contrainte qui s’exerce sur la paroi du vaisseau. Nous avons d’abord fait une étude descriptive du syndrome d’Ehlers-Danlos qui a montré que la paroi des artères est 30 % plus fine qu’un sujet témoin, et que la contrainte mécanique qui s’exerce est plus élevée de 45 %. Notre candidat médicament était donc indiqué car il cumulait trois effets : ralentissement de la fréquence cardiaque, diminution de la pression moyenne et surtout diminution de la pression pulsatile qui est le principal facteur de « remodelage » des artères. Notre projet de recherche a été financé par le PHRC et l’étude promue par l’AP-HP. Nous avons rapidement été en contact avec l’association de patients qui nous a aidés à trouver des malades pour tester le traitement.
En fait les résultats de l’étude ont été inattendus. Qu’avez-vous observé ?
Nous avons pu montrer que les sujets traités faisaient trois fois moins d’événements graves que sans traitement. Un effet massif indiscutable qui a conduit à stopper l’étude pour excès de bénéfice. Le céliprolol est bêtabloquant particulier, car il agit sur deux types de récepteurs bêta. Il est « bêta-1 bloquant » (donc il ralentit le cœur) et « bêta-2 stimulant » (donc vasodilatateur et restimulant pour le cœur). Le cœur est donc moins ralenti qu’avec un bêtabloquant classique et la pression artérielle se maintient. Mais nous avons observé également que les artères se sont rigidifiées en cours d’étude. Même si ce n’était pas notre hypothèse principale de départ, il s’avère que les bêta-2 stimulant interagissent avec la production de collagène, en particulier dans les vaisseaux ! Bien que nous ne l’ayons pas mesuré directement, notre hypothèse a posteriori est donc que la synthèse de collagène dans les vaisseaux a été augmentée par l’effet bêta-2 stimulant, expliquant l’augmentation de la rigidité et peut être celle de leur solidité.
Quelle va être la suite de ces travaux ?
Tout d’abord, il s’agit de permettre aux patients de pouvoir bénéficier de ce traitement et ce d’autant qu’il n’est pas disponible dans tous les pays. Il faut également travailler sur l’attitude des médecins face à cette maladie, pour que le diagnostic soit plus efficace. Il faut souligner aussi l’importance de soigner les patients dans des centres dédiés ou ils peuvent recevoir les soins adaptés -les centres maladies rares- comme celui de l’Hôpital Européen Georges Pompidou pour les maladies vasculaires rares. Quant à comprendre le mécanisme d’action du produit sur la synthèse de collagène, nous manquons pour l’instant de modèle animal, mais ce travail est en cours. Enfin, je veux souligner que cet exemple montre que l’on peut faire des études de morbidité-mortalité dans des maladies rares et graves. A ce jour c’est un cas unique mais nous sommes heureux d’avoir apporté une solution thérapeutique à ces patients car il n’en existait aucune.
* Effect of celiprolol on prevention of cardiovascular events in vascular Ehlers-Danlos syndrome : a prospective randomised, open, blinded-endpoints trial - The Lancet, Early Online Publication, 7 September 2010 - doi:10.1016/S0140-6736(10)60960-9
Kim-Thanh Ong MD, Jérôme Perdu MD, Julie De Backer MD, Erwan Bozec PhD, Patrick Collignon MD, Joseph Emmerich MD, Anne-Laure Fauret MD, Jean-Noël Fiessinger MD, Dominique P Germain MD, Gabriella Georgesco MD, Jean-Sebastien Hulot MD, Anne De Paepe MD, Henri Plauchu MD, Xavier Jeunemaitre MD, Stéphane Laurent MD, Dr Pierre Boutouyrie MD
_________________ AnnaëlleMalgré la maladie rien ne vaut la viehttp://www.lachevreriedeceuse.fr
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